O'Mast : Mon Tailleur, ce Héros

Hugo JACOMET
27/8/2013
O'Mast : Mon Tailleur, ce Héros

Gentlemen,

cet article vient réparer une injustice.

Le très beau film O'Mast, consacré aux maitres tailleurs Napolitains et sorti à la fin de l'année 2011, n'a jamais fait l'objet d'un article digne de ce nom dans ces colonnes. Pourtant, s'il est un travail qui mérite à la fois notre attention et notre considération, c'est bien celui de Gianluca Migliarotti, réalisateur doué, enfant de la baie de Naples, qui filme sa ville et ses héros comme personne ne l'a fait avant lui.

Ayant récemment reçu une nouvelle version du DVD, j'ai donc attentivement re-visionné "O'Mast" avec l'objectif d'en parler dans PG.

Mais comme le film est aujourd'hui très connu des amateurs d'art tailleur et qu'il est aujourd'hui très facile de se le procurer, je vais donc tenter de me livrer à l'exercice très particulier dit de la critique en retard, une formule inventée par Charles Baudelaire dans l'une de ses fameuses Critiques consacrée à Madame Bovary de Gustave Flaubert en Octobre 1857. Extrait :

En matière de critique, la situation de l'écrivain qui vient après tout le monde, de l'écrivain retardataire, comporte des avantages que n'avait pas l'écrivain prophète, celui qui annonce le succès, qui le commande, pour ainsi dire, avec l'autorité de l'audace et du dévouement.

M. Gustave Flaubert n'a plus besoin du dévouement, s'il est vrai qu'il en eut jamais besoin. Des artistes nombreux, et quelques-uns des plus fins et des plus accrédités, ont illustré et enguirlandé son excellent livre. Il ne reste donc plus à la critique qu'à indiquer quelques points de vue oubliés, et qu'à insister un peu plus vivement sur des traits et des lumières qui n'ont pas été, selon moi, suffisamment vantés et commentés. D'ailleurs, cette position de l'écrivain en retard, distancé par l'opinion, a, comme j'essayais de l'insinuer, un charme paradoxal. Plus libre, parce qu'il est seul comme un traînard, il a l'air de celui qui résume les débats, et, contraint d'éviter les véhémences de l'accusation et de la défense, il a ordre de se frayer une voie nouvelle, sans autre excitation que celle de l'amour du Beau et de la Justice.

Je vais donc tenter, par amour du Beau et de la Justice, de me frayer une voie nouvelle dans la critique de ce film dont les louanges ont déjà maintes fois été chantées par tous les chroniqueurs et commentateurs de la planète sartoriale mais qui, à mon sens, mérite une analyse un peu plus fine que les sempiternels superlatifs à la gloire des gentils réalisateurs qui filment des gentils artisans qui font des jolis gestes...

Oui O'Mast est incontestablement un très beau film qui fera frémir d'aise les connaisseurs et interpellera les non initiés, tant les personnages mis en scène - des maîtres tailleurs, des clients passionnés et des acteurs importants du secteur - explosent littéralement de théâtralité, de nonchalance et de sincérité devant la caméra très «super 16» de Migliarotti qui les regarde comme les derniers héros des temps modernes.

Il faut dire que le casting tient vraiment la route avec des gueules taillées à la serpe, des voix d'une profondeur confondante et des gouailles toutes napolitaines, directement sorties des films de gangsters de notre jeunesse. Antonio Panico crève l'écran, cigarette au bec, avec sa gueule de patron de la pègre et sa voix d'une gravité envoutante tandis que Renato Ciardi (flanqué comme il se doit de ses deux fils Enzo et Roberto) semble tout droit sorti d'un film avec Al Pacino ou Robert De Niro...

Dans O'Mast, il y a bien sûr des gestes de tailleur, des ateliers, des essayages, des vestes, des ciseaux et du tissu, mais il y a aussi de la fumée de cigarette, des téléphones filaires, des fiches cartonnées et des néons. Et puis il y a Naples, omniprésente, entêtante, envoutante, chaotique que la caméra de Migliarotti capte avec aisance et nonchalance, en bon enfant du pays.

O'Mast est construit comme un enchainement d'entretiens, montés sans aucune voix-off et sans aucune question, avec ces personnages haut en couleur qui parlent de l'art tailleur napolitain et de leur vie avec émotion, humour et passion. Ce parti-pris narratif ambitieux fonctionne très bien dans les premiers instants où les souvenirs de jeunesse, les petites anecdotes truculentes des salons d'essayage et les vibrants plaidoyers pour la défense des traditions se succèdent avec une mise en image forçant le respect.

Il en résulte un film touchant, surprenant dans les premiers instants, captivant la plupart du temps, empreint d'une indéniable poésie et d'un charme tout italien.

Quelques bémols cependant :  le film, à mon sens, s'essouffle quelque peu dans la deuxième moitié, car l'accumulation de petites histoires, si elles sont charmantes dans les premiers moments du film, ont tendance à tourner un peu en rond et à devenir redondantes. C'est le danger de ce type de narration sans aucun chapitre ni voix-off... Mais après tout, peut-être que l'intention de l'auteur était également de rendre hommage, par la construction de son oeuvre, au style local : destructuré et nonchalant.

La musique originale, si elle frôle le sublime par moment, a quant à elle tendance a créer à la longue un sentiment de répétition par l'utilisation exclusive du registre jazz.

O'Mast n'est donc pas, au final, un documentaire sur le tailoring Napolitain (vous n'y apprendrez en effet que peu de choses sur l'art lui-même) mais une superbe flânerie poétique au coeur d'un fabuleux artisanat et d'une ville à laquelle l'art sartorial mondial doit beaucoup.

Chapeau Gianluca,

Cheers, HUGO

Pour voir la bande-annonce et commander le DVD : O'Mast, The Movie

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