Le costume ne peut pas être sa propre fin

Léon LUCHART
17/5/2024
Le costume ne peut pas être sa propre fin

Chers lecteurs,

Dans cet article, j'aimerais développer quelques idées qui me sont chères et que j'ai pu aborder en vidéo avec Hugo ou par le passé déjà sur PG. J'espère qu'elles trouveront une résonance dans votre propre vécu. Je suis intimement convaincu qu'elles sont importantes si l'on ne veut pas déconnecter la passion des vêtements de l'apprentissage de l'élégance en général.

Tout le monde ne s'habille pas en costume tout le temps

Contrairement à ce que pourrait laisser penser un Pitti Uomo (qui n'en est pas moins un spectacle délicieux pour autant), il faut reconnaître que tous les membres de notre communauté ne sont pas des fanatiques inflexibles de la cravate. Et c'est une bonne chose : la mission de Parisian Gentleman n'a jamais été de convertir à des changements de mentalité excessifs - mais plutôt d'amener progressivement un plus grand nombre de personnes à réintégrer les valeurs du beau et de l'élégance dans leur quotidien. Il est donc naturel que chacun le fasse à sa mesure : le style sartorial connaît bien des variantes, et nos modes de vie déterminent la plus ou moins grande place que nous pouvons accorder à la cravate, à un trois-pièces, ou aux tissus délicats. Chacun s'approprie ainsi le vestiaire masculin classique comme il l'entend.  

Ceci étant, il existe une partie de la communauté sartoriale qui a fait du costume une passion obsédante – et je confesse volontiers que je me reconnais parfois dedans. Il convient pourtant de rappeler une chose essentielle : ne vivre qu'à travers une seule et unique passion est une pente dangereuse. Je veux dire par là qu'on court toujours le risque d'appauvrir nos autres champs d'intérêt, nos échanges, notre ouverture intellectuelle – et cela vaut pour n’importe quelle passion.

On peut évidemment passer sa vie sur le sujet vestimentaire, tant il est dense. Mais reconnaissez que pour se tenir à un tel objectif et en sortir heureux, il faut que l'objet « costume » relève d'autre chose que d'une simple passion-achat. 

Autrement dit, il me paraît légitime de s'intéresser avec enthousiasme au costume, à condition de le voir autrement que comme un simple objet de consommation. Je ne souhaite à personne d’avoir pour seul et unique objet de pensée son prochain achat : ou alors il faudra se résoudre à voir le sartorialisme devenir un nouvel ultraconsumérisme monomaniaque. A l'inverse, je crois que la passion sartoriale peut être le moteur d'une curiosité très ouverte : cette dernière donnera l'envie de comprendre le vêtement d'un point de vue technique, de découvrir les classiques - si élégants - du grand écran, de la littérature, ainsi qu’un certain art de vivre.

J’ai la conviction que nous partons du costume, mais que celui-ci est voué à nous mener plus loin que nous-mêmes. A titre personnel, c'est en aiguisant mon goût vestimentaire, en apprenant à connaître mes convictions esthétiques, que j'ai eu envie de perfectionner non seulement mon jugement et l'attention que je donnais au beau, mais aussi mes valeurs.

Le paradoxe du mannequin

Voilà une autre idée qui me tient à coeur : sans doute le style des ancêtres que nous fantasmons n'était-il pas aussi étudié et fouillé que nous voulons le croire. Je repense souvent à cette phrase de Marc Guyot, qui avait confié à Hugo, au cours d'un épisode des Discussions Sartoriales, qu'on finissait vite par être plus italien ou anglais que ne le sont en réalité les italiens ou les anglais eux-mêmes. Je crois que nous nous faisons une certaine idée de l'élégance d'antan, qui n'est pas intégralement fausse, mais que nous avons absolutisée et amplifiée. Le discours des réseaux sociaux joue pour beaucoup là-dedans. Je pense qu'il faut avoir à l'esprit que nos ancêtres étaient élégants sans y penser (ou en tout cas, en y pensant moins). Ils n'étaient sans doute pas indifférents aux belles cravates, loin de là; mais il y a fort à parier qu'ils en parlaient moins que les sartorialistes les plus chevronnés d'aujourd'hui.  

Pour ma part, ce que j'apprécie chez les personnes profondément élégantes (qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes), c'est leur charisme et leur sang-froid, la clairvoyance et l'honnêteté qu'elles révèlent dans l'adversité comme dans la banalité du quotidien. Une aura qui rayonne, sans jamais laisser transparaître une once de suffisance. A l’inverse, voir un mannequin jouer à l'élégant sans chercher à en adopter réellement l'attitude, cela ne m'inspire pas vraiment.

Nos pantalons ne sont pas faits pour être toujours lisses, et nos cravates peuvent être parfois moins bien nouées. Qu'importe ? Il y aura pour moi toujours plus de cachet dans une photo prise sur le vif, dans une tranche de vie sincère et entière, que dans un cliché artificiel où le costume est impeccable et immobile, et l'individu froid. Quant à ces biens (costumes, chemises, souliers, montres...), ils sont là avant tout pour accompagner notre vie. Ils peuvent nous inspirer et nous égayer, mais ne doivent pas monopoliser notre attention.

Excellente semaine à vous chers lecteurs,

Léon