En finir avec le dandysme (I)

Léon LUCHART
17/5/2023
En finir avec le dandysme (I)

Ce sont paradoxalement ceux qui connaissent le moins bien le dandysme qui s'imaginent le voir partout. Commençons donc par un exercice simple : demandez autour de vous à quelle période de notre histoire cette notion renvoie. Vous aurez la surprise d'entendre des personnes convaincues vous affirmer que tout se joue au XXème siècle et pas avant. Demandez ensuite quelques noms et cette deuxième expérience achèvera de vous convaincre que le commun des mortels manie la notion de dandysme sans y rien comprendre. Etablissons les choses une fois pour toutes : le dandysme est mort. Si l'on est absolument rigoureux, il émerge au tournant du XIXème siècle, en Angleterre. Son premier représentant, Beau Brummell, inspire la société anglaise puis française, mais il faut attendre la décennie 1830 pour observer l'apogée de cette tendance à Paris. La Belle Epoque sera le témoin d'une résurgence de ce mouvement esthétique dont les Années Folles seront le dernier grand moment.

Nous ne parlons de mouvement que par commodité. Il n'y a en réalité jamais eu de structuration de cette communauté d'élégants, qui se piquaient tous d'atteindre une originalité absolue. Faire corps n'avait de sens que pour tenir face à la vague redoutable de la médiocrité contemporaine. Car c'est là le deuxième point : le dandysme réclamait certaines conditions pour apparaître. Lisez Baudelaire et tous ceux qui ont écrit sur la question ; l'enjeu n'est pas seulement l'élégance, c'est avant tout l'esprit de rupture. Passer dandy (expression de Balzac), c'est entrer en résistance. C'est s'inventer aristocrate du Beau pour lutter contre son temps.

En lisant ces mots, vous croyez pouvoir faire des rapprochements avec des personnalités du XXIème siècle : nous vous conseillons d'y renoncer. Etre dandy suppose de savoir faire advenir sans cesse une radicale et absolue nouveauté. Le dandysme n'est pas qu'un art du vêtement ou du paraître : c'est une injonction à être toujours déconcertant. Cela, les dandys du passé le pouvaient encore. Mais nous, que pouvons-nous espérer accomplir depuis que le mouvement a été réifié en notion, depuis qu'on a pu le figer en en faisant une étiquette ? Le dandy se définissait par sa capacité à être toujours là où on ne l'attendait pas. Qui peut encore prétendre à une telle fraîcheur d'existence aujourd'hui ? Le dandysme, pour s'imposer à notre époque, doit nécessairement faire référence à un temps révolu. Maintenir le dandysme aujourd'hui implique de se rattacher à un passé, un âge d'or qu'il paraît bon de réactiver - tandis que les vrais dandys ne se référaient qu'à eux-mêmes. Un dandy ne devrait jamais tirer sa légitimité ou sa crédibilité de la référence à des prédécesseurs. En toute rigueur, on devrait ainsi aller jusqu'à dire que seul Brummell fut un vrai dandy - puisque aucun autre n'aurait existé sans lui.

Nous sommes allés assez loin dans la théorie ; en réalité, déconstruire le prétendu dandysme moderne ne demande pas tant d'efforts. Revenons à quelques considérations plus générales. Si vous pouvez dire "original" ou "élégant" au lieu de "dandy", alors n'employez pas ce dernier terme. S'il est simplement question d'un costume, d'une cravate ou d'un accessoire peu commun, ne parlez pas de dandysme. Si vous êtes face à une personne un peu en décalage avec la société, ne dites pas "dandy". En revanche, si vous croisez un individu oisif, insolent, brillant, provocateur, hautain, gracieux, sublime ; s'il est mis avec brio, si sa conversation est superbement futile, son goût infiniment délectable, si sa compagnie vous frustre autant qu'elle vous fascine ; si tous ces éléments sont face à vous, alors, vous saurez comment appeler votre homme.