Politiques du costume

Agathe VIEILLARD-BARON
30/4/2025
Politiques du costume

C’est au XIXe siècle que le costume se généralise à l’ensemble de la société bourgeoise et urbaine. Les silhouettes s’uniformisent autour des pièces-clefs de la garde-robe masculine : chemise, gilet, veste, pantalon, souliers et chapeau. 

Si le vêtement a toujours été un outil de revendication politique (appartenance à un groupe, soutien à une idéologie, revendication d’une légitimité), il obtient, au XIXe siècle, un statut tout particulier : les romantiques de même que la bourgeoisie adoptent le costume, mais refusent de le porter de la même manière. A la Chambre comme à la ville, on se fait militant par le détail, comme d’autres l’ont fait, plus tôt, par le drapeau ou le blason. 

Je vous livre aujourd’hui quelques uns des épisodes les plus marquants de l’existence politique du costume dans l’effervescence du XIXe siècle !

Conjurer le costume noir: le rôle de la boutonnière 

Depuis sa généralisation parmi les classes urbaines, au XIXe siècle, le costume devient le lieu d’une revendication politique assumée. 

C’est tout d’abord à la Chambre et dans les ministères que s’exprime une élégance toute politique. Si le costume se doit d’être sobre, et presque uniformément noir chez les hauts fonctionnaires, c’est dans les détail que se jouent les revendications des différents acteurs. Comme nous avons pu l’exprimer dans l’un de nos articles, c’est par exemple la boutonnière qui devient un symbole des opinions de son porteur. 

Au XIXe, l’oeillet blanc est un symbole conservateur et royaliste - “L’Oeillet blanc” est même le nom du cercle royaliste mondain d'André Becq de Fouquières. Les socialistes ou boulangistes adoptent, quant à eux, l'œillet rouge et sa symbolique révolutionnaire. L’oeillet bleu, quant à lui, sert de symbole de ralliement aux partisans du journaliste nationaliste et antisémite Edouard Drumont, à l’aube du XXe siècle.

Le gilet rouge d’Hernani, ou l’élégance à la scène

Le 25 février 1830, la pièce de Victor Hugo, Hernani, fait scandale à Paris ; aux loges du théâtre s’opposent l’avant-garde romantique, incarnée par les amis du dramaturge, et les partisans d’un académisme artistique. Parmi les plus fervents soutiens de Victor Hugo, un jeune homme se fait remarquer à son gilet écarlate : Théophile Gautier. 

Hugo raconte lui-même combien la tenue du jeune auteur fit scandale : 

Il n’y eut que l’excentricité des costumes, qui, du reste, suffit amplement à l’horripilation des loges. On se montrait avec horreur M. Théophile Gautier, dont le gilet flamboyant éclatait ce soir-là sur un pantalon gris tendre, orné au côté d’une bande de velours noir, et dont les cheveux s’échappaient à flots d’un chapeau plat à larges bords.

Le futur auteur du Roman de la Momie et de Mademoiselle de Maupin fait de ce gilet l’emblème de la modernité face à la génération précédente, marquée par un conservatisme latent. “Nos poésies, nos livres, nos articles, nos voyages seront oubliés ; mais l'on se souviendra de notre gilet rouge”, affirme Gautier. “Nous rejetions le coloris effacé, le dessin maigre et sec, la composition pareille à des groupements de mannequins, que l'Empire avait légués à la Restauration”, ajoute-t-il, avant d’opposer le rouge vif du gilet des Romantiques aux multiples couleurs ternes qui caractérisent la garde-robe des bourgeois conservateurs : “vert bronze, marron, mâchefer, suie-d’usine, fumée-de-Londres, gris de fer, olive pourrie, saumure tournée et autres teintes de bon goût, dans les gammes neutres, comme peut en trouver, à la suite de longues méditations, une civilisation qui n’est pas coloriste”. 

Anecdote également livrée par l’auteur de l’Histoire du romantisme, la visite chez leur tailleur pour demander le fameux gilet ; le brave homme commence par objecter que ledit gilet n’est pas à la mode :

— Eh bien ! ce sera la mode — quand nous l’aurons porté une fois — répondîmes-nous, avec un aplomb digne de Brummel, de Nash, du comte d’Orsay ou de toute autre célébrité du dandysme.
— Je ne connais pas cette coupe ; ceci rentre dans le costume de théâtre plutôt que dans l’habit de ville, et je pourrais manquer la pièce.
— Nous vous donnerons un patron en toile grise que nous avons dessiné, coupé et faufilé nous-même ; vous l’ajusterez.

Le gilet est le trait saillant que l’Histoire a retenu de la Bataille d’Hernani ; mais la description de l’accoutrement de Théophile Gautier ne va pas sans d’autres extravagances, que l’on est tenté de lire comme une manifestation des plus flamboyantes du style dandy : 

Le reste du costume se composait d’un pantalon vert d’eau très-pâle, bordé sur la couture d’une bande de velours noir, d’un habit noir à revers de velours largement renversés, et d’un ample pardessus gris doublé de satin vert. Un ruban de moire, servant de cravate et de col de chemise, entourait le cou. Le costume, il faut en convenir, n’était pas mal combiné pour irriter et scandaliser les philistins. 
Théophile Gautier, immortalisé par Auguste de Chatillon : une élégance à toute épreuve, même en harmonies de noir pour ce costume de soirée 

Romantiques vs “philistins” : le rôle de la garde-robe dans la lutte pour le progressisme

Le romantisme est durablement imprégné par une élégance excentrique, opposée à la “norme” bourgeoise, qui sert à l’époque de repoussoir. Témoin la tenue de l’intellectuel Jehan du Seigneur, décrite par Théophile Gautier : 

Pour se conformer au programme de son nom, Jehan du Seigneur portait, au lieu de gilet, un pourpoint de velours noir taillé en pointe emboîtant exactement la poitrine et se laçant par derrière. Ce n’était pas plus ridicule, après tout, que les gilets à cœur décolletés jusqu’au ventre et retenus par un seul bouton à la mode naguère. Une jaquette à larges revers de velours, une ample cravate en taffetas à nœud bouffant, complétaient ce costume profondément médité qui ne laissait voir aucune blanche tâche de linge, suprême élégance romantique ! Les gens qui ont cinquante ans aujourd’hui et même quelques années en sus, se souviennent des plaisanteries sur le col de chemise, considéré comme symbole de l’épicier, du bourgeois, du philistin qui, l’oreille guillotinée par ce triangle de toile empesé, semblaient apporter eux-mêmes leur tête comme un bouquet dans du papier.

Le “philistin”, ce surnom sarcastique du bourgeois, est toujours caricaturé dans les écrits des romantiques, qui préfèrent, au col blanc de ceux qui travaillent, les couleurs extravagantes de ceux qui se passent de linge, et se consacrent à l’art. On imagine bien le spectacle extraordinaire qu’une telle tenue a pu constituer dans les salons parisiens ! 

Deux dandys, gravure de 1831. On peut noter plusieurs caractéristiques du style dandy : la taille extrêmement marquée, les petits souliers vernis, les cols extravagants et les chemises travaillées.

Le costume comme outil d’émancipation féminine 

Côté féminin, certaines intellectuelles s’approprient le costume masculin afin de revendiquer une forme de progressisme : George Sand est la plus célèbre d’entre elles. 

C’est en 1831 que celle qui n’est encore qu’Aurore Dupin monte à Paris. Âgée de 26 ans, et découragée par l’échec de son mariage, elle souhaite recommencer sa vie, et réaliser son rêve de de devenir autrice. Aurore fréquente les romantiques, les bohèmes, les dandies. Elle obtient de la préfecture de police de l’Indre une permission de travestissement, et revêt un costume masculin, moins coûteux, mais aussi plus représentatif de ses engagement progressistes. Elle adopte une redingote dite “guérite”, passe une chemise, noue autour de son cou une large cravate de laine, et porte même le chapeau. Elle coupe ses cheveux jusqu’aux épaules, comme ses collègues masculins, et devient George Sand. 

Portrait de George Sand dans sa redingote, par Eugène Delacroix, 1834 
Caricature de l’autrice en costume masculin, et fumant la cigarette 

Un acte indubitablement militant, quand on sait que les femmes n’ont obtenu le droit officiel de porter le pantalon en France que le 31 janvier 2013, la “loi sur le travestissement” en vigueur depuis 1800 ayant perduré jusqu’à l’Entre-deux-guerres, avant de perdre progressivement son efficacité. 

Le XIXe siècle est une des époques les plus fascinantes en termes de mode et d’influence du style dans les sphères politiques et littéraires. 

Il y a sans doute là matière à d’autres articles !

Image de couverture : extrait du Bulletin des Modes