Plaidoyer pour les accessoires disparus

Agathe VIEILLARD-BARON
23/10/2025
Plaidoyer pour les accessoires disparus

Chers amis, 

Je souhaite évoquer, aujourd’hui, avec vous, le bonheur de ces objets disparus, qui nous apparaissent aujourd’hui désuets - délicieusement surannés. Ces objets que l’on retrouve dans les tiroirs oubliés de la maison d’une aïeule, ou que l’on croise sur d’anciens portraits. 

L’évolution de la silhouette ou de l’allure rend certains accessoires obsolètes - mais leur destinée d’origine était-elle véritablement d’être “utiles” ? 

Attention, il ne s’agit pas de militer ici pour la réhabilitation de tous ces objets : le temps fait souvent bien son ouvrage. Mais apprécions de dépoussiérer, pour quelques instants, les rayonnages de l’élégance à l’ancienne et, qui sait, de nous donner quelques idées. 

Le Monocle 

Je ne surprendrai personne en citant le monocle, accessoire bien connu, composé d’un verre de lunette circulaire et, souvent, de son cadre, appelé bague. Le port de cet accessoire exige une bonne musculation de l’arcade sourcilière, l’objet s’appuyant entre celle-ci et la pommette. Vous remarquerez les jeux de rajustement divers et variés, dignes du meilleur Erich von Stroheim. 

Le monocle est souvent associé au personnage du dandy, ou à l’élégant. Malgré un succès certain chez les officiers de l’armée, qui y trouvaient un moyen utile d’esquiver les règlements interdisant aux porteurs de lunettes certains postes à haute responsabilité, le monocle passe vite de mode. Il est brièvement adopté par les milieux lesbiens du début du XXe siècle, dans le cadre d’une mode androgyne qui emprunte au dandy nombre de ses caractéristiques.

Aujourd’hui porté disparu, le monocle demeure l’un des accessoires les plus identifiables.

Le manchon

Accessoire féminin par excellence au XIXe siècle, le manchon était utilisé afin de garder ses mains au chaud. Le plus souvent en fourrure, il s’accordait parfois au couvre-chef ou à d’autres éléments de la tenue, par exemple une écharpe ou une étole, pour composer une panoplie hivernale des plus raffinées. On peut ainsi voir, dans ce tableau de Francine Charderon, une harmonie dans l’usage des fourrures, entre le manchon et la pièce qui recouvre les épaules et le col. Un chapeau de même couleur complète la tenue. Comble de l’élégance : le petit bouquet de fleurs qui dépasse à peine du manchon ! 

Le manchon est ici conçu comme un accessoire venant compléter cette large écharpe qui recouvre les épaules. Vous noterez que le manchon est prénommé “Rostand”, clin d’oeil au dramaturge du même nom, auteur de la pièce “Chantecler”, qui donne ici son nom à l’écharpe. Les deux pièces étaient réalisées en zibeline. 

Les guêtres 

C’est au début du XVIIIe siècle que les guêtres apparaissent, tout d’abord comme équipement officieux pour les soldats. Certains uniformes officiels adoptent petit à petit la guêtre comme élément constitutif - c’est le cas des “demi-guêtres”, qui recouvrent la jambe des soldats jusqu’à la mi-mollet. La spécificité de la guêtre est qu’elle recouvre le laçage de la chaussure, contrairement à d’autres formes de jambières qui se bornent à la cheville. 

Elles sont ensuite réinvesties par l’élégance masculine, qui en fait un accessoire particulièrement raffiné.

Le mot “spats” peut désigner, en anglais, la demi-guêtre, et a pu parfois être associé à la mafia. C’est le cas, par exemple, dans le célèbre film Some Like It Hot, de Billy Wilder (1959), où l’antagoniste principal se fait appeler “Spats” Colombo, en référence à ses guêtres, qu’il porte impeccables. 

Les guêtres donnent leur nom à l’artisan qui les confectionne, le guêtrier. Aujourd’hui, le terme ne désigne guère plus que l’objet utilisé pour protéger les jambes d’un cheval lors de la pratique de l’équitation ou du dressage. 

Le porte-bouquet 

Je vous parle d’un temps… où s’offrir des bouquets était un usage répandu. Quoique de taille plus modeste que ceux dont nous avons l’habitude dans nos iconographies contemporaines, les bouquets se portaient partout : sur le corsage, dans la coiffure… mais rarement à la main ! Pour parer à toutes éventualités, et éviter de se retrouver embarrassées par un bouquet imprévu ou trop encombrant, la plupart des femmes se dotaient d’un porte-bouquet.

Ces pièces de métal étaient soigneusement ornementées ; la chaînette qui les accompagnait permettait de les fixer, afin d’arborer le bouquet offert sans encombre. 

Elégance extraordinaire : celle des détails de ces portes-bouquet qui en font des anthologies végétales tout aussi sublimes. Témoin ce modèle de porte-bouquet signé Samuel O. Klein. 

Un lointain cousin du porte-bouquet n’est autre que la petite pièce de boutonnière, semblable à un vase, qui permettait aux hommes de maintenir la fraîcheur des fleurs qu’ils arboraient - un accessoire, là encore, en voie de disparition. 

Le faux-col

Aujourd’hui relégué dans les placards de nos grands-parents, les faux-cols ont pourtant connu leur âge d’or. Aussi nommés “cols amovibles”, ces pièces singulières font leur apparition au milieu du XIXe siècle, et tombent progressivement en désuétude à partir du milieu du XXe siècle . 

Son invention est l’oeuvre d’une américaine, Hannah Montague ; dans les années 1820, Mrs Montague, s’occupant des chemises de son époux, prend le parti de découdre ses cols afin de les laver séparément des chemises. L’idée fait mouche, et les premiers “string collars” sont commercialisés à partir de l’année 1827. 

Le faux col masculin est fixé à la chemise par des attaches en métal. Assez rapidement, l’usage de détacher certaines pièces de la chemise afin de les traiter à part s’étend aussi aux poignets.

Le col blanc s’impose progressivement, d’abord à New-York et aux Etats-Unis, avant d’atteindre l’Europe et l’Amérique du Sud. Symbole de la bourgeoisie aisée, le col blanc vient ensuite caractériser les cadres supérieurs, qui l’arborent dans tous les bureaux de Wall Street. Le faux-col connaît une éclipse au cours des années 1940 et 1950 ; la cause ? Un penchant de la garde-robe masculine vers un confort accru, excluant peu à peu les pièces aussi rigides que le col détachable. De même, l’usage d’amidonner ses cols se perd, et peu de teinturiers ou pressings le proposent de nos jours. 

Comment amidonne-t-on des cols, d’ailleurs ? Le col doit tout d’abord être rincé dans de l’eau bouillante, afin d’ôter tout amidon qui resterait encore sur le tissu. Ensuite, il est lavé, avant d’être plongé dans un mélange d’amidon concentré. Il est ensuite séché, puis repassé ; c'est lors de cette dernière étape que sa forme lui est donnée, en imprimant le mouvement à la main, ou en utilisant une presse particulière. 

Seul demeure aujourd’hui le col de smoking, que vous pouvez porter “à l’ancienne”, rigide, le plus souvent attaché à la chemise. Par ailleurs, la tradition des “stiff collars” se poursuit à Eton, où ils demeurent de rigueur !

Relève-jupe 

Si les pinces pour le bas du pantalon se font plus rares chez les cyclistes fervents, il est un accessoire tout à fait disparu de nos jours : le relève-jupe. Rien de grivois, rassurez-vous, mais une disposition des plus utiles pour qui souhaitait ne pas laisser traîner tout à fait le tissu de sa jupe dans la poussière ou la boue. 

Certaines recherchaient plus l’effet de style que la praticité, usant du relève-jupe afin de créer un délicat plissé. 

Ce modèle de relève-jupe se portait au-dessus de la taille, et était muni de pinces permettant d’attraper le tissu afin de le retenir un peu plus haut. Un harnachement de plus dans une garde-robe féminine déjà envahie par les corsets et baleines en tous genres ! 

L’ombrelle

Détail bien connu des peintres et des iconographes des siècles passés, l’ombrelle servait avant tout à se protéger du soleil. Un teint de peau hâlé a longtemps été l’apanage des travailleurs qui se retrouvaient en plein soleil, et le bronzage était synonyme de travail manuel ; aussi les femmes de la haute-société cherchaient-elles à s’en prémunir par tous les moyens, à commencer par des chapeaux. Mais l’ombrelle pouvait venir compléter cette panoplie plutôt estivale, et est rapidement devenue un objet de mode à part entière.

L’ombrelle pouvait être assortie à d’autres détails ou accessoires de la tenue ; c’est le cas de cette ombrelle, parfaitement accordée aux tons de la coiffe qui l’accompagne. 

Je ne résiste pas à vous partager une découverte digne de figurer au panthéon des accessoires intrigants : l’ombrelle - cueilleuse, dont le fabricant Dubois décrit dans cette publicité tous les avantages. Pensez-y pour votre prochain week-end à la campagne !

De quoi faire d’un accessoire de promenade une arme létale en deux temps trois mouvements si besoin est - l’ancêtre du parapluie bulgare. 

Le carnet de bal 

Tradition délicieuse qui permettait aux étourdies de s’y retrouver dans leurs cavaliers, valses et contredanses, celle du carnet de bal. En fait de carnet, imaginez plutôt un support de quelques centimètres carrés, qui pouvait être aisément transporté. On en trouve plusieurs modèles, ici avec une couverture de nacre. 

D'autres modèles joignent l’utile à l’agréable ; c’est le cas de cet éventail-carnet de bal, qui permettait aux jeunes femmes d’inscrire la liste de leurs cavaliers de la soirée, sans pour autant souffrir la chaleur des pistes de danse. 

Ce n’était parfois pas la jeune femme qui venait avec son carnet de bal ; certaines compagnies, lors d’événements particuliers, fournissaient elles-même un carnet, qui présentait le programme musical et chorégraphique de la soirée. La demoiselle ou la dame n’avait plus qu’à inscrire les noms de ses cavaliers à côté de la pièce musicale qui lui paraîtrait la plus adéquate. Dans ce carnet de bal de l’USS Mayflower, un bateau de croisière, vous pouvez noter que chaque morceau est dédié à quelqu’un en particulier, du “Captain” aux “Gentlemen Friends” en passant par les “Old Folks at Home” ou le “Chauffeur”. 

Le bonnet et les lunettes d’automobilistes 

L’avènement de la vitesse au XIXe siècle, avec la découverte de la voiture, puis de l’aviation, induit des métamorphoses dans le vestiaire de ceux qui s’improvisent pilotes. L’une des priorités est de maintenir des conditions optimales de conduite, ce qui donne naissance aux lunettes de pilotage, que l’on voit fleurir sur les fronts des automobilistes et aviateurs. 

Si l’usage des véhicules fermés - non décapotables, notamment - a changé la donne au cours du XXe siècle, nous ne pouvons que regretter l’allure - certes singulière - de ces pilotes du dimanche et futurs champions que l’on retrouve dans nos vieux albums photo. 

Le cache-chignon

Last but not least, un accessoire féminin des plus pratiques : le cache-chignon. Son usage premier est de maintenir la coiffure en place, en la recouvrant. Souvent fait de résille, il connaît, au fil des ans, un usage de plus en plus esthétique, jusqu’à devenir un accessoire vestimentaire à part entière. 

Cette invention sera ensuite récupérée par les ouvrières, notamment au cours des deux conflits mondiaux. Les travailleuses apprécient particulièrement l’usage d’un accessoire qui leur permet de dégager la vue, tout en maintenant leur chevelure du matin au soir. 

D’autres accessoires auraient pu trouver leur place parmi ces lignes, j’en conviens. A ceux qui seraient déçus de ce passage un peu rapide dans les armoires de nos grands-parents, je recommande le livre de Massimiliano Mocchia di Coggiola, Du Monocle, qui constitue une somme bien plus exhaustive et érudite des accessoires désormais disparus. 

En somme, c’est à vous de voir si vous laisserez les aléas de l’histoire engloutir les petits accessoires qui font votre plaisir quotidien, ou plus exceptionnel : boutonnière, éventail, gants, qui sait…

Une du New Yorker de février 1925, par Rea Irvin.