De l'écoute de la musique classique

Léon LUCHART
25/3/2024
De l'écoute de la musique classique

Chers lecteurs,

Suite à la diffusion du dernier épisode de la chaîne Discussions Sartoriales, j’ai reçu plusieurs messages enthousiastes au sujet de l’ouverture d’une rubrique « musicale » dans nos colonnes.

L’idée que j’avais en tête était simple : donner quelques éléments d’initiation au monde de la musique classique et permettre à tous ceux qui ne le connaîtraient que de loin d’aller s’y confronter.

Ce ne sera pas la première fois que PG inaugure une réflexion sur des sujets n’ayant pas directement trait à la chose sartoriale. Une éducation riche et complète se doit d’embrasser beaucoup de domaines divers, et se cantonner au vêtement aurait quelque chose de stérile, à la longue. Je crois profondément dans la diversification du contenu : hier, sur PG, c’était le vin, le rasage ou les instruments d’écriture. Ma collaboratrice Agathe vous parle depuis quelques temps déjà de cinéma ; aujourd’hui, à mon tour de vous parler d’une de mes marottes.

POURQUOI ÉCOUTER DE LA MUSIQUE CLASSIQUE ?

Si vous lisez ces lignes, c’est sans doute que le sujet vous intéresse déjà. La question que je pose pourrait donc sembler superflue. Certes. Je veux néanmoins m’assurer que nous nous comprenons.

Mon amour pour la musique classique n’est pas fondé sur des motivations snob. La musique dite savante et la musique dite populaire me procurent le même plaisir d’écoute. Je ne considère pas le classique génial par nature, et « tout le reste » forcément moins estimable. Ce genre d’opposition me paraît ridicule (sauf si bien sûr elle est détachée de tout jugement de valeur et sert d'outil à l’historien de la musique). Je vous confesse volontiers que je n’ai aucun problème à écouter du métal après quelques concertos de Vivaldi.

On peut aimer les romans de gare qui n’obtiennent aucun grand prix littéraire, tout en étant profondément attaché à son Balzac ou son Stendhal.

Voilà qui est dit.

La réponse est donc simple : écouter les compositeurs classiques relève d’un plaisir qui doit avant tout être personnel. Au cours de notre histoire musicale, se sont succédés des compositeurs fantastiques, chacun avec sa vision des règles d’écriture. Ce rapport que j'esquissais avec la littérature n’est pas exagéré : tout morceau est un récit musical, un affrontement entre des forces antagonistes de tension et de résolution harmonique, destiné à être interprété par un ou plusieurs artistes. Tout morceau a donc son contenu propre, et des choses à nous dire. Comme pour la plupart des œuvres d’art, c’est une fréquentation régulière de tel ou tel répertoire qui vous permettra de faire votre oreille.

DE QUOI PARLE-T-ON ?

C’est la deuxième clarification qu’il faut faire : « musique classique », dans le langage courant, ne veut pas dire grand-chose. Bien sûr, le musicologue peut avoir besoin d’opposer musique savante et populaire comme je le disais plus haut. Mais, au quotidien, il faut se méfier de telles catégories, surtout à une époque où l’on a tôt fait de simplifier les idées qui s’opposent dans un débat. Parler de musique « classique » au sens large conduit bien souvent à confondre des genres, des compositeurs, et des styles très divers. Surtout, cela ouvre la voie à des raisonnements fallacieux considérants que certaines personnes savent apprécier le classique (comme s’ils savaient embrasser tout ce que la musique classique peut couvrir !) alors que d’autres ne sauraient pas et ne pourraient jamais l’écouter.

La réalité est, heureusement, plus subtile.

On peut être particulièrement sensible à la musique baroque (Vivaldi, Rameau ou Lully par exemple) mais détester la musique de chambre romantique d'un Liszt. On peut adorer les partitions symphoniques de Sibelius mais ne jamais écouter de concerto de Mozart. On peut aimer le chant lyrique, par exemple les Lieder de Schubert, mais décrocher devant un opéra de Wagner. On peut ne rien comprendre à Debussy ou Boulez, car certains compositeurs sont moins accessibles que d’autres. Comme certaines toiles ou certains films, certaines partitions demandent une initiation pour être mieux appréhendées. Et parfois, rien n’y fera, vous n’aimerez pas. Ce sera votre droit !

QUEL RAPPORT AVEC L’ELEGANCE ?

Je vous disais qu’il me paraissait important de s’ouvrir à d’autres sujets que le vêtement. On pourrait ajouter deux autres éléments de réponse.

Le premier : même si j’ai rejeté le snobisme comme justification, il faut bien reconnaître que la fréquentation des salles de concert reste un marqueur social. S’ouvrir au plus tôt à la musique classique, c’est éviter de s’interdire, plus tard, d’aller au concert, sous prétexte que cela ne serait pas fait pour moi.

La salle de concert est un espace de paraître. Peu de gens voudraient passer pour celui ou celle qui ne comprend rien – alors qu’en réalité, rares sont les experts qui perçoivent toutes les subtilités de ce qu’ils entendent. N’oublions pas que ce qui compte est votre expérience esthétique, le plaisir que vous aurez à vous laisser emporter par une narration musicale. Ressentez avant tout ! Il m’est arrivé de vivre des moments invraisemblables, avec des personnes qui prétendaient comprendre et aimer ce qu’elles avaient écouté, alors qu’en vérité elles s’étaient ennuyées tout le long du concert. Il serait dommage de se laisser intimider, croyez-moi. Mais entrer dans la surenchère du snobisme n’est pas non plus une solution.

Le deuxième élément de réponse serait le suivant : l’imaginaire des salles de concert (je pense notamment à l’opéra) a imprégné de manière durable nos représentations de la vie en société. L’homme élégant semble être à sa place dans ce monde de paraître … et sans doute y a-t-il une réflexion à mener sur l’étiquette des salles de concert en 2024. Nous y reviendrons dans un prochain article.

QUELQUES RECOMMANDATIONS 

Nous vivons sans doute une formidable époque pour ce qui touche à la diffusion de la musique classique.

Celle-ci est accessible à tous sur internet, et il importe seulement de savoir où chercher. Je recommande personnellement d’écouter France Musique et de passer un peu de temps sur le site d’Arte Concert. Faites une liste, même mentale, des choses qui vous plaisent, et si vous vivez à proximité de lieux où sont donnés des concerts de qualité, allez donc y écouter les compositeurs que vous aurez aimés. Car il y a tout un monde entre l'écoute chez soi, et le fait de vivre en direct la performance d'un artiste.

Mon autre recommandation serait d’aller, pour commencer, vers la musique symphonique… et le ballet. Ce sont deux domaines accessibles, qui procurent beaucoup de plaisir d’écoute. Le ballet classique vous permet de surcroît d’avoir un spectacle visuel appréciable !

Essayez enfin d'avoir une écoute active. Demandez-vous ce qui vous plaît, pourquoi, ce qui ne vous parle pas – même si vous n’avez pas le langage technique. N’hésitez pas à en parler avec des proches qui seraient musiciens ou mélomanes.

 

Voilà quelques premières considérations ; d’autres suivront !

Excellente semaine à vous chers lecteurs,

Léon

Image de couverture : reproduction de l'affiche "Le Théâtrophone" de Jules Chéret, 1896