Petite histoire de l'élégance aérienne

Agathe VIEILLARD-BARON
28/4/2024
Petite histoire de l'élégance aérienne

“Maverick, it's not your flying, it's your attitude” - Iceman, Top Gun, 1986

L’histoire de l’aviation est riche en anecdotes passionnantes et en records spectaculaires, et l’image du pilote incarne dans nombre d'œuvres de fiction l’audace et la virtuosité. La garde-robe qui lui est associée, aujourd’hui représentée dans l’imaginaire collectif par la célèbre “flight jacket”, n’a eu de cesse d’évoluer : une métamorphose qui se déploie entre les exigences d’un sport placé sous le signe de la démonstration - et de l’ostentation - et les évolutions techniques propres au XXe siècle.

La Belle Époque : rendez-vous mondains et pistes de vol 

Les débuts de l’aviation sont marqués par l’expérimentation technique. De la même manière, les aviateurs néophytes ne disposent pas encore d’une tenue spécifique dans les années 1910. 

Les photographies d’époque font état de divers costumes, jusqu’aux plus élégants. L’univers de l’avion est en effet appréhendé par la haute société de la même manière que celui des courses automobiles : il s’agit certes d’un sport, mais aussi et surtout d’un lieu de rencontre mondain. 

Edmond Poillot, aviateur, en 1910 : vous noterez la cravate, la boutonnière mais aussi les boutons de manchette. Photographie de presse / Agence Meurisse. Source : Gallica / BNF

Pilotes et spectateurs s’en donnent donc à cœur joie ; les photographies et poses rythment le franchissement de nouvelles étapes, ainsi que les records. Car rappelons-le, le sport aérien, cet horizon qui s’ouvre à la conquête, se révèle souvent un espace des plus périlleux, où les accidents ne sont pas rares.  

Vous l’aurez compris, démonstration et monstration sont au cœur de ce spectacle, et les baptêmes de l’air deviennent des célébrations à ciel ouvert de l’élégance mondaine. 

Baptême de l’air d’Yvonne, première vendeuse chez Lanvin, ainsi que d’Olga et André, ses collègues, dans l’avion de Mademoiselle Deutsch de la Meurthe / Collection privée - archives Laetitia Hedde 

Pour des raisons de praticité, nombre de pilotes adoptent une tenue inspirée de celle des coureurs automobiles : pantalon bouffant, larges manteaux de fourrure et lunettes. Le vent et l’altitude contraignent peu à peu les apprentis aviateurs à opter pour des tenues chaudes, et le col roulé fait son apparition.

Marcel Paillette posant sur son biplan, 1910 © AntonyB, CC BY-SA 4.0 [1]

L’aviation devient peu à peu un phénomène de mode au cœur de la Belle Epoque. La Revue de Sport en relaie les nouveaux exploits, tandis que le public participe à la création d’une “mode aéronautique”, rubrique qui fait son apparition dans les revues de style. La mode féminine inspirée de l’aviation adopte le pantalon très large : toléré sur les pistes de vol, il demeure proscrit à la ville. 

Harriet Quimby et Matilde Moisant, les deux premières femmes à obtenir leur licence d’aviation aux Etats-Unis, font sensation en adoptant la combinaison des pilotes, et en l’adaptant à la silhouette féminine alors en vogue à l’époque - notamment la taille fine, reprise du corset. Quimby est la première à faire ajouter un capuchon sur ladite combinaison.

Harriet Quimby et Matilde Moisant en 1912, photographie dédicacée 

Côté masculin, on arbore la moustache, voire le canotier, et on hésite quant au couvre-chef le plus adapté aux rafales de vent lors du décollage et de l'atterrissage. La cravate est de mise, pour les hommes comme pour les femmes qui se prêtent à l’exercice du costume masculin. Les pistes de vol deviennent des lieux mondains incontournables, jusqu’à la Première Guerre mondiale. 

La Grande Guerre et ses évolutions

A l’aube de 1914, l’allongement des temps de vol exige l’évolution de la tenue des aviateurs et aviatrices, de la coquetterie à la praticité. Les altitudes atteintes forcent l’épaississement des matières, et la fourrure se généralise sur les vestes de pilotes. 

Roland Rohlfs, pilote ayant battu le record de vitesse en 1918, et le record d’altitude en 1919 ; photographie de 1919, Bain, Library of Congress

L’aviation de guerre induit également un changement dans les coupes. Le cuir se généralise : les Allemands l'adoptent rapidement pour leurs vestes, et les Anglais pour doubler les casques et couvre-chefs. Les pantalons, eux, évoluent du pantalon de costume vers les coupes militaires, comme le montre la photographie ci-dessous.

Trois hommes dans un champ, mesurant sans doute la direction du vent. Trois variations autour du costume de pilotage. 1910, Imperial War Museum

La gabardine fait également son apparition dans le vestiaire du personnel volant. William Hobson, pilote du service courrier, adopte, pour sa part, une double combinaison.

La Grande Guerre exige également une transformation des accessoires. La moufle avait auparavant la faveur des pilotes, mais l’index doit désormais être laissé libre, afin de pouvoir abattre un avion ennemi : les gants sont donc de mise. Les lunettes inspirées des accessoires des coureurs automobiles sont également remplacées par des lunettes spécialisées, avec des verres fumés. 

The Eyes Of the Army and Navy, Practical Aviation, par Charles Frederick Peters (1882-1948), publié par Harper & Brothers entre 1890 et 1920 ; © Boston Public Library, CC BY 2.0 [2]

Le costume de l’aviateur devient un uniforme militaire à part entière, adoptant la taille marquée et les bottes montantes. 

Alfred Comte, pionnier de l’aviation et pilote engagé dans les forces suisses, en 1920. Le manteau ceinturé et le col de fourrure rappellent la tenue des militaires. On peut toutefois noter le pin-collar, et la cravate sous le manteau de l’aviateur. 
Walter Hempstead, Clarence Coombs, Roland Rohlfs, Boyd Sherman et Harry Johns en août 1920. On peut noter ici l’hybridation entre le style masculin classique et les tenues d’aviation (pantalons de costume ou pantalon bouffant), mais la cravate reste de mise ! © Bain News Service, George Grantham Bain Collection, Library of Congress, ggbain 31131

Dans l’entre-deux-guerres, l’essor de l’aviation civile apporte une nouvelle évolution. L’influence du costume colonial sur l’imaginaire des passagers est rapidement exploitée par les grandes compagnies. L’homme d’affaires Julian Trippe, gérant de la Panaméricaine, participe à cette transformation, et impose à ses pilotes de ligne un costume blanc inspiré de l’uniforme des capitaines de marine. Les voyageurs, eux, restent sur leur 31. 

Aviation et horlogerie : une histoire de longue date 

Le costume n’est pas le seul domaine qui voit une évolution propre à l’aviation : le célèbre Charles Lindbergh est à l’origine de l’irruption du style pilote dans l’univers de l’horlogerie. C’est âgé de 25 ans que le jeune homme accomplit l’exploit d’être le premier à traverser l’Atlantique en solitaire les 20 et 21 mai 1927 à bord de son avion, The Spirit of Saint Louis. La médiatisation de cet exploit fait de Charles Lindbergh un véritable héros américain, et voit l’apparition du “style Lindbergh”, image fantasmée d’un certain idéal masculin.

Charles Lindbergh posant devant son célèbre avion, The Spirit of Saint Louis, le 31 mai 1927 ; W. C. Persons, photographer, Cliff Henderson Collection

A l’issue de sa traversée, Lindbergh écrit au dirigeant de Longines, fournisseur officiel de la Fédération Aéronautique Internationale depuis 1919, ainsi que des juges de courses automobiles et hippiques depuis le début du XXe siècle. Le jeune homme lui décrit en détail le modèle idéal de la montre-bracelet pour pilote, qui aiderait à la navigation. La montre est réalisée par la suite, et des répliques sont encore produites à ce jour : montres capables de donner à l’aviateur sa position géographique exacte, mais aussi montres GMT. 

La marque française Lip produit, quant à elle, un modèle commémorant le record de Lindbergh. 

Les aviatrices et la mode : un combat à part 

L’année 1926 voit, aux Etats-Unis, la fin de la présence des femmes sur les pistes de vol : elles sont exclues de la profession de pilote de ligne, et ne seront à nouveau admises dans les cockpits que dans les années 1960 dans les compagnies américaines (dans les années 1970 en France). La mode féminine inspirée de l’aviation n’est plus un objet mondain et sensationnel, mais un outil de revendication. 

Lena Bernstein, pionnière de l’air juive d’origine russe, connaît une carrière mouvementée, marquée par les discriminations qu’elle subit en tant qu’aviatrice. Cette photographie met en lumière une difficulté qui apparaît pour les femmes après leur exclusion de la plupart des pistes de vol : le financement d’un équipement adéquat. Lena Bernstein vole parfois en manteau de fourrure, son manteau de ville habituel.

Photographie dédicacée de Lena Bernstein ; © Air Journal

D’autres femmes parviennent à imposer un style inspiré de celui de leurs homologues masculins, telles Amelia Earhart, qui devient en peu de temps l’image vivante de l’aventurière de l’air. Première femme à traverser l’Atlantique en solitaire en 1932, puis premier pilote à relier Hawaï et la Californie en 1935, la célébrité d’Earhart n’a d’égale que sa difficulté à se faire une place dans un monde de l’aviation de plus en plus fermé aux femmes. Son vestiaire ? Pantalons à plis, cardigans, mais aussi chemises et vestes en cuir. 

Amelia Earhart en 1936, posant devant le nouveau modèle Electra ; Wide World Photos
Amelia Earhart en 1932 ; © Harris & Ewing, LC-DIG-hec-36877, Library of Congress

Hors de la piste de vol, difficile pour ces femmes de conserver leur pantalon sans provoquer aussitôt un scandale. La pilote Adrienne Bolland est ainsi contrainte de se changer dans son cockpit, devant les journalistes, car elle est attendue pour une réception. Certaines femmes adoptent, sur le terrain de l’aérodrome, des petits talons ou des petites espadrilles en plus de leur combinaison, afin de ne pas choquer leurs collègues par une allure trop masculine.

L’actrice Katharine Hepburn, pionnière d’une silhouette plus androgyne dont nous vous parlions récemment, n’hésite pas, elle, à poser devant un avion en 1935, habillée de vêtements masculins et de chaussures plates - geste artistique autant que militant. 

Katharine Hepburn, © Martin Munkácsi Estate, 1935 

L’apparition des flight jackets : vers le mythe de l’aviateur 

Dans l’entre-deux-guerres, le style pilote fait son apparition, et participe à l’héroïsation de cette figure audacieuse ; on conserve le pantalon de costume, la chemise et la cravate, tout en arborant la veste de modèle A1. Celle-ci est adoptée dès 1927 par les aviateurs de l’armée de l’air américaine - et peut être trouvée sous le nom d’ “Urfliegerjacke” ou “veste aviateur originelle”. En cuir puis en tissu coupe-vent, le blouson présente des poignets et un bas de veste en tricotine. 

Howard Hughes, aviateur, ingénieur aéronautique et réalisateur américain ; la veste croisée se porte ici en-dessous du blouson A1 ; © Bettmann/CORBIS, Smithsonian Magazine

Elle est suivie de près par la veste A2, dotée d’une fermeture éclair, qui fait son apparition dans les années 1930. Elle est également dotée d’un col en cuir et de pattes d’épaules.

C’est à la même époque que le modèle G1 est développé pour les pilotes de l’aéronavale américaine, avant de devenir une des caractéristiques du style de l’aviateur ; il est doté d’un col en fourrure - du mouton, le plus souvent - et ne présente pas de pattes d’épaules. Quant au modèle que nous connaissons en France sous le nom de “Bombers”, il s’agit de la veste MA1, qui remplace le A2 dans les années 1950.

Quatre membres du Women Airforce Service Pilots (WASP) pendant la Seconde Guerre mondiale : on note la différence entre le blouson G1, porté par la deuxième de ces jeunes femmes, et les blousons A2 de ses collègues ; © U.S. Air Force, 020927-O-9999A-002, 1944

Popularisé au cours de la Seconde Guerre mondiale, le modèle G1 revient en force près de trente ans après, arboré par le plus célèbre des aviateurs du cinéma : Peter Mitchell, alias “Maverick”, incarné par Tom Cruise dans le film Top Gun (1986). Ce dernier consacre l’image du pilote de haute volée, mais érige également les Ray Ban Aviator - RB3025, plus précisément - au rang d’icône.

École des élèves aviateurs de Top Gun, 1982, JOC Kirby Harrison

Un coup d'œil sartorial …?

Aujourd’hui, le style pilote a imprégné notre imaginaire collectif, et nous semble familier. On le retrouve d’ailleurs parfois sous forme d’hommage, comme pour la collection femme automne-hiver 2019/20 de la marque de haute-couture Calcaterra, inspirée par Amelia Earhart.

Pionniers, aviateurs de guerre ou longs-courriers, les pilotes demeurent aujourd’hui des références, tant pour leur style que leur audace... au point d’inspirer jusqu’aux adeptes du sartorialisme. Car, au-dessus d’une veste ou d’une chemise, une flight jacket peut permettre de composer un ensemble bien senti. De quoi souhaiter voir plus de déclinaisons de cette pièce iconique au cours des saisons à venir ! 

Sergent de Top Gun embarquant dans son cockpit, 1982, JOC Kirby Harrison

Sources : 

Guillaume de Syon, Aviateurs et aviatrices, "beautiful people" des Années Folles, podcast publié le 16 avril 2019 par l’Institut Français de la Mode 

Photo de couverture :

Charles A. Lindbergh devant son avion, le "Spirit of St. Louis", 1927 ; photo restaurée par Crisco 1492, le 24 juin 2013

[1] Photographie sous licence Creative Commons, via Wikimedia Commons

[2] Photographie sous licence Creative Commons, via Wikimedia Commons, source Flickr