Katharine Hepburn et le costume classique

Agathe VIEILLARD-BARON
28/2/2024
Katharine Hepburn et le costume classique

Le vieil Hollywood fascine, et son Âge d’or n’a pas fini d’offrir au public des idoles : Marilyn Monroe, Audrey Hepburn, Mae West, Elizabeth Taylor ou Jean Harlow... Voilà des noms que l’on a plaisir à reconnaître dans le déroulement d’un générique. Plus encore, leur style continue d’influencer et d’innerver toute une production, de la haute-couture aux séries : Audrey Hepburn sera toujours l’égérie de Givenchy, chaque décennie aura sa reprise de Diamond’s Are a Girl’s Best Friend, de Madonna jusqu’à Ana de Armas, tandis que la Cléopâtre de Liz demeurera la plus marquante de l’histoire du cinéma. 

Une star extraordinaire semble cependant éclipsée de bon nombre de commentaires de style, et pas des moindres : Katharine Hepburn (aucun lien familial avec la célèbre Audrey), née en 1907 et morte en 2003, a marqué plusieurs décennies de l’Histoire du cinéma, tout en affirmant un style à rebours des couvertures de magazine. Exit les sex-symbols et leurs jupes crayon : à son entrée dans le monde du cinéma, Hepburn affirme sa singularité vestimentaire, à la ville comme dans ses films. Celle qui est exfiltrée des blogs de mode “vintage” ou “haute-couture”, inassignable et inclassable, trouve peut-être alors dans l’univers sartorial sa terre natale.

Katharine en villégiature à l’Hôtel Australia, Sydney (1955, Australian Photographic Agency, collection of the State Library of New South Wales)

Fille d’une suffragette, Hepburn est très tôt influencée par les discours du féminisme américain en faveur du vote des femmes, mais aussi de leur accession à une véritable indépendance sociale et économique. Si c’est le monde de l’art qui l’emporte dans son cœur, elle n’oubliera jamais cet idéal ; témoin les rôles de femmes qui lui sont échus, qu’elle investit d’une énergie et d’une indépendance incandescentes. A ces aspirations intellectuelles et politiques s’ajoute une silhouette inspirée des coupes masculines les plus sophistiquées, qui lui confère une allure inimitable. 

Qu’est-ce donc que le “style Hepburn” ? La pièce la plus caractéristique de sa garde-robe n’est autre que le pantalon, qu’elle porte large, avec un pli marqué. Le bas de celui-ci dévoile souvent des chaussures à petits talons ; l’actrice ne dissimule pas sa préférence pour les chemises ou polos aux coupes androgynes voire masculines.

De l’audace jusqu’au bout du col, photo de plateau, Woman Of The Year (1942, Metro-Goldwyn-Mayer)

Une silhouette qui fait figure d’exception : loin de se laisser intimider, Katharine n’hésite pas à faire l’apologie de ce style aussi féministe que féminin - et pratique. “Chaque fois qu’un homme me dit qu’il préfère une femme en jupe, je lui dis d’essayer. D’essayer d’en porter une”, aurait-elle déclaré au créateur de mode Calvin Klein. A la journaliste Barbara Walters, qui lui demande en 1981 si elle possède au moins une robe chez elle, elle répond de manière lapidaire : “Oui, Mrs Walters. J’en ai une, que je porterai à vos funérailles”. Ces anecdotes et quelques autres points ont déjà fait l'objet d'un développement dans un précédent article, "Le smoking au féminin".

Photo de plateau lors du tournage de Bringing Up Baby (1938) : Howard Hawks, Cary Grant et Katharine Hepburn 
Katharine Hepburn sur le plateau du tournage d’Undercurrent (1946)

Le film The Philadelphia Story déploie toute les ambivalences du caractère et du style Hepburn, dans le rôle d’une jeune héritière prise au piège, entre ses aspirations émancipatrices et son idéal sentimental. Sa silhouette embrasse autant celle de la jeune fille féminine et vulnérable que l’allure déterminée d’une femme en quête d’elle-même, qui se fraye une place aux côtés de ses homologues masculins, Cary Grant et James Stewart. Un rôle loin de la composition, donc, d’autant que l’audacieuse Hepburn rachète elle-même les droits de cette pièce de théâtre, pariant tout sur ce grand retour après quelques années d’absence. “J’ai prêté ma vie au personnage de Tracy,” déclare Hepburn. “Et elle m’a rendu ma carrière”. 

Dans le rôle de Tracy Lord, dans The Philadelphia Story (1940), aux côtés de James Stewart, Metro-Goldwyn-Mayer studio

Couverture du magazine Stage lors de la promotion du film The Philadelphia Story (1939), Stage Publishing Company, Inc., photograph by Vandamm

S’il est une influence que l’on puisse distinguer chez Hepburn, c’est bien celle de la silhouette androgyne et troublante de Marlene Dietrich, ici dans Morocco, de Josef Von Sternberg (1930, Paramount Pictures).

Katharine reprend en effet le motif du smoking féminin caractéristique de l’univers de la nuit, ainsi que des revendications vestimentaires propres au féminisme, pour en livrer une version particulièrement élégante et sophistiquée, notamment dans son film Woman of the Year.

Chemise au col relevé et à la matière satinée, et pantalon à la taille marquée qui semble être un semi-gurkha : une autre conception du costume de soirée 

La reprise régulière, dans les films d’Hepburn, de scènes à cheval est, à chaque fois, l’occasion pour l’actrice aux nombreux visages de présenter des pièces inspirées par le vestiaire de l’équitation, dont l’influence sur certaines coupes typiquement sartoriales n’est plus à prouver. 

Katharine Hepburn dans le film Undercurrent (1946) 

D’autres costumes d’Hepburn soulignent l’originalité vestimentaire d’une actrice qui n’hésite pas à intervenir dans la caractérisation de ses personnages. Un style parfois à rebours de la féminité classique, ou plutôt, une réinterprétation sobre et piquante, audacieuse et insolite de pièces plus traditionnelles, comme en témoignent ces dernières images.

Jeune première et véritable pilote
Le superbe trench à rayures d’Hepburn, toujours dans le film noir Undercurrent (1946)

Une approche de la mode qui introduit des coupes féminines dans le vestiaire masculin des années 1940 et 1950, faisant de Katharine Hepburn une figure passionnante.

Photo de couverture : Cliché pris pendant le tournage de Woman of the Year, 1942, Metro-Goldwyn-Mayer

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